Alors que le sociologue des sciences Bruno Latour vient de disparaître, il est bon de se replonger dans un de ses ouvrages les plus originaux, Paris ville invisible, écrit avec Emilie Hermant (Les Empêcheurs de penser en rond/La Découverte, 1998). Il y proposait d’étudier les multiples techniques visuelles élaborées par les scientifiques pour rendre compte de Paris comme un tout, suivant les chercheurs dans leur manière de se représenter la capitale à travers la mesure, l’observation, le calcul, la carte, etc. Conçu comme une enquête photographique, le livre a stimulé une histoire urbaine des sciences, attentive à croiser l’étude des sciences en ville et des sciences de la ville.
De son côté, en 2003, la collection américaine Osiris, en consacrant son volume annuel au thème « Les sciences et la ville », souhaitait aborder quatre questions différentes : les lieux de savoirs urbains, l’expertise urbaine, la représentation culturelle et les modes de vie urbains. Avec l’essor des institutions scientifiques, la ville est en effet le théâtre de diffusion d’une science publique. Plus encore, les métropoles du XIXe siècle avaient pu donner naissance à de nouvelles disciplines comme la botanique urbaine, la géologie urbaine ou la chimie urbaine.
La forme « ville », une énigme à décrypter
A la fois objet d’enquête et terrain d’étude, la forme « ville » apparaissait comme une énigme à décrypter à mesure que l’urbanisation du monde s’affirmait. Cette approche invitait aussi à revenir sur la généalogie disciplinaire de l’écologie scientifique dans son rapport à la ville, retrouvant par là un autre thème de prédilection de Bruno Latour.
Un livre collectif dirigé par la géographe Joëlle Salomon Cavin et la sociologue Céline Granjou (Quand l’écologie s’urbanise, UGA Editions, 2021) s’est donné pour ambition « d’analyser la production des savoirs naturalistes et écologiques sur les milieux urbains et d’interroger à la fois la capacité de la ville à reconfigurer les sciences de la nature (trajectoires, pratiques, imaginaires, etc.) et celle des sciences de la nature à redéfinir la ville ». Cet engouement certain renvoie à une conception vivante de la ville abordée comme métabolisme, à partir des flux de matières et d’énergie, et à une étude des écosystèmes urbains dans un esprit plus conservationniste (inventaires des plantes, des insectes et des animaux, opposition ville-campagne).
Dans le contexte de la crise environnementale, la quête d’un nouvel urbanisme de la « ville durable » a encouragé dans les années 1990 et 2000 une mobilisation des chercheurs pour infléchir les politiques urbaines en intégrant aussi la participation des populations (une « écologie vernaculaire »).
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