Alors que l’été joue les prolongations, la France devra pourtant bien se mettre, dimanche 30 octobre, à l’heure d’hiver ; un changement controversé dont la suppression, décidée il y a trois ans par l’Union européenne, fait figure de serpent de mer. A 3 heures du matin, dans la nuit de samedi à dimanche, il sera 2 heures. Il faudra donc penser à reculer horloges et autres réveils de soixante minutes, ce qui permettra à tous de profiter d’une heure de sommeil supplémentaire.
Ce changement, instauré pour la première fois en 1916 avant d’être abandonné en 1944, a été réintroduit par un décret en septembre 1975. Il se voulait provisoire et avait pour but de limiter la consommation d’énergie en plein choc pétrolier. Avec le retour de la question des ressources énergétiques de manière brûlante en raison de la guerre en Ukraine et la multiplication des appels à la sobriété énergétique, le passage à l’heure d’hiver pourrait apparaître salutaire. Mais l’est-il vraiment ? Quels sont les défauts de ce dispositif ?
1. Un système non universel et peu compréhensible
Au niveau européen, où le régime du changement d’heure a été progressivement généralisé dans les années 1980 avant d’être harmonisé en 2002, la Commission européenne avait proposé en 2018 de le supprimer… en 2019. Mais, en mars 2019, le Parlement européen a voté un report à 2021 et devait s’accorder avec le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement sur les modalités. Depuis, entre le Brexit et la pandémie de Covid-19, la question est restée en suspens. L’une des difficultés est d’inciter les pays à harmoniser leur heure légale (été ou hiver) afin d’éviter d’aboutir à un patchwork de fuseaux horaires.
En France, une consultation en ligne organisée au début de 2019 par l’Assemblée nationale avait reçu plus de deux millions de réponses, massivement (83,74 %) en faveur de la fin du changement d’heure. Plus de 60 % des participants assuraient avoir eu « une expérience négative ou très négative » du changement.
Particularité de l’actuel système : il ne concerne pas les territoires d’outre-mer, qui ne changent jamais d’heure (à l’exception de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui se cale sur le Canada). En effet, la plupart d’entre eux se trouvent sous des latitudes où les écarts d’ensoleillement sont faibles au long de l’année, contrairement à l’Europe.
A l’échelle mondiale, plusieurs pays, comme l’Argentine, la Tunisie, l’Egypte, la Turquie, la Russie et l’Arménie, ont décidé d’abandonner les changements d’heure saisonniers.
2. Des gains énergétiques peu probants
L’argument principal en faveur du changement d’heure était jusqu’ici l’économie d’énergie qu’il permettrait de réaliser en profitant des périodes de jour plus longues l’été et en se rapprochant du rythme du soleil l’hiver. Mais plusieurs études sur le sujet montrent des économies en énergie et CO2 « modestes », selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).
Ainsi, une étude de l’Ademe publiée en 2010 montre que le passage à l’heure d’été entraîne :
- une consommation d’électricité plus importante le matin, avec notamment un pic à 6 heures (équivalent à 5 heures en heure d’hiver) ;
- une consommation beaucoup moins importante le soir, notamment entre 20 heures et 21 heures (équivalent à la période entre 19 heures et 20 heures en hiver).
Autrement dit, les foyers paient, en moyenne, un peu plus en électricité le matin mais économisent finalement le soir. Pour avoir un ordre d’idées, une heure d’éclairage en moins permet d’économiser environ 0,10 euro.
En 2009 (année prise en compte par l’étude), la demande moyenne en électricité à 19 heures a ainsi été diminuée de 3,5 gigawatts (GW). Au total, l’économie d’énergie cette année-là a été chiffrée à 440 gigawattheures (GWh), principalement sur l’éclairage public (en rose dans le graphique ci-dessus), l’équivalent d’un an d’éclairage pour une ville de 800 000 habitants, comme Marseille.
Mais, depuis, cet effet a eu tendance à s’amoindrir du fait de la performance accrue des systèmes d’éclairage (ampoules basse consommation et LED). En 2018, cette baisse n’était plus que de 351 gigawattheures. A l’horizon 2030, les économies d’énergie en matière d’éclairage sont estimées à 258 gigawattheures par l’Ademe.
Sachant que la majorité de la consommation d’énergie des ménages provient du chauffage et non de l’éclairage, les preuves d’économies d’énergie restent donc encore à démontrer.
Pis, une récente étude britannique affirme que supprimer le changement d’heure en octobre permettrait d’économiser 400 livres sterling (460 euros) par foyer et par an, car il ferait jour plus longtemps le soir, ce qui réduirait la demande aux heures de pointe.
3. Résultats contradictoires sur les accidents de la route
L’Association contre l’heure d’été double milite contre le changement d’heure en évoquant, parmi d’autres raisons, « des augmentations des accidents de la circulation ». Elle fonde son argumentaire sur des chiffres datant de… 1976, après le rétablissement de l’heure d’été, et conclut qu’il y eut cette année-là 661 morts supplémentaires sur les routes, entre avril et octobre, qu’en 1975.
Dans un rapport publié en septembre 2014, la Commission européenne, qui a passé en revue plusieurs études sur le sujet, relève des « résultats souvent contradictoires », certains rapports « suggérant que le changement améliore la sécurité routière », grâce à une meilleure visibilité à certaines périodes de l’année et de la journée (comme l’explique une étude écossaise en 2010), d’autres « démontrant une augmentation potentielle des accidents de la route à cause des troubles du sommeil ».
Cette année, la Sécurité routière a cependant décidé de rappeler l’importance de se rendre visible sur la voie publique, avec « des dispositifs rétroréfléchissants (gilet, brassard, gants, bandes sur le sac à dos, le cartable, etc.) » juste avant le changement d’heure. Le nombre d’accidents impliquant un piéton augmente en effet de manière récurrente de 42 % en novembre, par rapport au mois d’octobre, selon les données de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière recueillies entre 2015 et 2019.
4. Des conséquences sur la santé ?
En 2008, une étude suédoise publiée dans le New England Journal of Medicine, s’appuyant sur des statistiques du pays entre 1987 et 2006, constatait « une augmentation statistiquement significative du risque de crise cardiaque » dans la semaine suivant le changement d’heure, notamment lors du passage à l’heure d’été.
Une étude de septembre 2015, conduite par la Commission européenne, écrit que « la santé peut être affectée par le changement de biorythme du corps, avec de possibles troubles du sommeil et de l’humeur ».
Mais tout comme la dépression hivernale ne peut s’expliquer par un lien de causalité (plutôt ténu d’un point de vue scientifique) entre manque de lumière et baisse de moral, les perturbations induites par le changement d’heure ne s’expliquent à l’heure actuelle que par des hypothèses. La Commission conclut toutefois que « les éléments de preuve concernant les effets globaux sur la santé (c’est-à-dire la mise en balance des effets négatifs et positifs présumés) ne sont pas concluants ».
En 1997, un rapport du Sénat assurait que « le monde médical [restait] très partagé sur l’existence de troubles imputables à l’heure d’été ». Vrai ou fantasmé, le risque médical a en tout cas été intégré par les potentiels malades : « 19 % des médecins [faisaient] état d’une augmentation de la consommation de médicaments et singulièrement de tranquillisants au moment du changement d’heure ». Dans un sondage OpinionWay pour ComprendreChoisir, publié en octobre 2015, 75 % des personnes interrogées affirmaient que le changement d’heure avait un impact négatif sur « le sommeil, l’alimentation ou l’humeur ».