« La transition écologique en manque de récit », titrait l’éditorial du journal Le Monde au lendemain de la présentation le 21 octobre par la première ministre, Elisabeth Borne, de son plan « France nation verte ». « Ce qu’on a vu pour le moment, ce sont des photos. Mais il manque le script du film, un narratif partagé », a surenchéri Benoît Leguet, directeur de l’Institut de l’économie pour le climat, think tank sur la transition écologique.
C’est en effet une illusion partagée par les milieux politiques et les médias que de croire qu’un récit peut remédier à une crise de civilisation qui questionne non seulement nos modes de consommation, mais notre manière de nous représenter la réalité et de la raconter.
Face à la transition écologique, le président narrateur peine à trouver les mots. La communication du gouvernement emprunte à un lexique de la contrainte : « efforts », « responsabilité », « sacrifice ». Les mesures annoncées sont formulées en termes de renoncement, de privations, de restrictions. Elles n’empruntent jamais le langage de l’expérimentation, de l’invention. Il y va toujours de la perte (d’un mode de vie ou d’habitudes de consommation), jamais de la reconquête (de nouveaux espaces, de la biodiversité). La transition écologique constitue un fardeau dont il faudrait équilibrer la charge, une responsabilité collective à l’égard des générations futures.
De punitive, l’écologie serait passée au stade expiatoire. Une forme de purgatoire chargé de racheter les fautes de l’hyperconsommation : croissance sauvage et pillage des ressources naturelles. On décline des mesures de restriction, jamais d’ouverture, d’élargissement des expériences, d’invention de nouveaux rapports au corps, au temps et à l’espace. Il est question exclusivement de la survie de l’espèce humaine, jamais de retrouvailles avec d’autres espèces. Il s’agit seulement de se corriger au quotidien par écogestes et sobriété, jamais de se déployer sur d’autres terrains d’expériences. La catastrophe écologique met en crise tous les récits dominants, mais elle échoue à proposer un horizon de possibles, elle est enfermée dans une boucle de rétroaction : récit de la catastrophe, catastrophe du récit.
L’expérience démentie par les faits
« La vie s’est transformée en une suite intemporelle de chocs entre lesquels il y a des trous béants, des intervalles vides et paralysés », écrivait Adorno en 1945. Douze ans plus tôt, Walter Benjamin analysait dans un essai célèbre, intitulé Expérience et pauvreté, les raisons de la crise de narration qui avait suivi la première guerre mondiale : « Jamais expériences acquises [n’avaient] été aussi radicalement démenties que l’expérience stratégique par la guerre de positions, l’expérience économique par l’inflation, l’expérience corporelle par l’épreuve de la faim, l’expérience morale par les manœuvres des gouvernants. »
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