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[EN VIDÉO] Qu’est-ce que l’énergie photovoltaïque ? L’énergie photovoltaïque, tout le monde en parle et certains d’entre nous en profitent peut-être même. Mais savons-nous pour autant vraiment ce qui se joue au cœur d’une cellule solaire ? Marion Perrin, docteur en électrochimie, nous présente, en vidéo, le principe physique qui se cache derrière cette énergie renouvelable.
Lors de la Route du Rhum 2022 qui s’élancera de Saint-Malo en octobre prochain, le skipper Marc Guillemot sera à la barre d’un bateau équipé d’une voile solaire inédite. Elle intègre des cellules photovoltaïques organiques souples qui produisent suffisamment d’énergie pour pourvoir aux besoins électriques quotidiens du voilier de course. Il s’agit d’une première mondiale développée par l’entreprise française Heole. Cette toute jeune pousse fondée en 2021, basée à Vannes (Basse-Bretagne), développe des voiles et tissus solaires souples, légers et même translucides si nécessaire. Outre le marché de la plaisance, Heole travaille également sur des toiles de store et de tente ainsi que des ballons d’éclairage. Jean-Marc Kubler, directeur général associé d’Heole, a expliqué à Futura les tenants et aboutissants de cette innovation, ses avantages, et les perspectives qu’elle ouvre.
Futura : En quoi consistent les membranes et les toiles photovoltaïques organiques souples que vous fabriquez ?
Jean-Marc Kubler : Heole se définit comme un constructeur d’autonomie énergétique pour des objets en mouvement ou isolés. Notre innovation combine trois briques clés : la technologie des cellules photovoltaïques organiques (OPV pour Organic PhotoVoltaic), leur encapsulation dans différents supports en leur conservant leurs propriétés (souplesse, légèreté, translucidité), l’extraction du courant produit pour alimenter le circuit électrique de l’objet.
Futura : Quelle est la différence entre une membrane et une toile solaire ?
Jean-Marc Kubler : Une membrane fait référence à la technologie qu’emploient les voiliers pour fabriquer des voiles translucides. Nous développons le même type de matériaux pour les toiles de tente et les dirigeables en utilisant des caractéristiques différentes.
Futura : Vous parlez d’une technologie organique. De quoi s’agit-il ?
Jean-Marc Kubler : Les OPV se composent d’une couche de polymère de 150 microns qui transforme l’énergie lumineuse en énergie électrique. Elle est prise entre deux films souples de PET. Comparées à des panneaux photovoltaïques en silicium, les caractéristiques sont remarquables au point de vue légèreté, souplesse et transparence. Par exemple, la translucidité permet d’installer des dispositifs à la verticale, dans la voile du bateau, et de capter la lumière des deux côtés. On est alors beaucoup moins dépendant de l’orientation des panneaux solaires pour la navigation.
Futura : Vous expliquez que les OPV ont une analyse de cycle de vie nettement supérieure à celle du silicium. Pouvez-vous nous préciser cela ?
Jean-Marc Kubler : L’analyse du cycle de vie est exprimée en gramme de carbone par kilowattheure produit. Une centrale hydroélectrique dégage 5 g de carbone par kWh, les cellules OPV entre 5 et 15 g, le nucléaire 55 g et le silicium 65 g. Les OPV sont donc entre 5 et 10 fois moins polluants que le silicium.
Futura : Dans ce cas, pourquoi le silicium tient-il toujours la corde dans le développement du photovoltaïque ?
Jean-Marc Kubler : La puissance de production du silicium est de l’ordre de 200 watts crête par mètre carré alors que l’OPV est commercialisé aux alentours de 40 watts/m². Mais le watt crête est mesuré dans des conditions optimales d’ensoleillement de 1.000 watts/m², avec des panneaux placés orthogonalement aux rayons du soleil. Dans le scénario idéal, on a une production de 200 watts/m². L’OPV a l’avantage de fonctionner avec de la lumière diffuse, et même lorsqu’il n’y a pas beaucoup de lumière. Cela fait une énorme différence.
Futura : Quels sont les avantages de votre technologie par rapport aux panneaux photovoltaïques classiques ?
Jean-Marc Kubler : Nous avons comparé la production d’électricité entre du silicium et de l’OPV sur une journée de navigation, avec les cellules orientées dans la même position. Résultat, l’OPV produit deux à trois plus de wattheure par jour que le silicium.
Même lorsque les panneaux en silicium sont installés à l’horizontale sur le pont du bateau, nous avons constaté que les ombres générées sur les surfaces entravent considérablement la production d’énergie. Sur un bateau comme Energy Observer, qui est recouvert de panneaux photovoltaïques en silicium, les ailes rigides Oceanwings projettent des ombres qui entraînent un fonctionnement qui n’est pas optimal. Les OPV permettent d’optimiser beaucoup plus efficacement la production d’énergie.
Futura : Votre première application concrète est une voile solaire destinée au voilier de course de Marc Guillemot pour la prochaine Route du Rhum. Quelle autonomie énergétique cette voile apporte-t-elle au bateau ?
Jean-Marc Kubler : La grand-voile que nous avons conçue pour le bateau de Marc Guillemot intègre 12 m² de cellules photovoltaïques qui permettent de produire le kilowatt d’électricité nécessaire quotidiennement pour alimenter le pilote, l’éclairage, le réfrigérateur et les ordinateurs. Nous n’avons rien changé à l’équipement du bateau en matière de batterie. Nous utilisons l’installation d’origine.
Futura : À quel rythme le rendement des cellules OPV progresse-t-il ?
Jean-Marc Kubler : La technologie OPV suit une loi de croissance qui s’apparente à celles des semi-conducteurs ou des LED. Cette année, nous devrions voir arriver sur le marché les premiers produits commerciaux à 80 watts/m², soit 8 % de rendement. Avec notre voile actuelle, nous allons pouvoir produire non plus un, mais deux kilowatts. Cette loi de croissance opère un doublement du rendement tous les trois ans. Elle s’accompagne d’une division par dix des coûts de fabrication sur dix ans. Vous comprenez que les perspectives de ce procédé sont absolument fantastiques.
Futura : Pourquoi avoir choisi le nautisme pour commencer à développer votre technologie ?
Jean-Marc Kubler : La course à la voile s’apparente à la formule Un, en ce sens qu’elle représente un formidable banc d’essai. Nous éprouvons la résistance à la corrosion, la pluie, l’eau de mer… On sait donc que si notre voile tient le coup durant la Route du Rhum, notre technologie OPV sera très fiable pour d’autres applications.
Futura : Quelle est la capacité et la durée de vie que vous visez pour vos produits ?
Jean-Marc Kubler : Nous visons une durée d’utilisation de cinq ans sur un bateau. Avec les résultats que nous obtenons actuellement sur nos tests de la voile, nous sommes confiants d’y parvenir. Elle a déjà fait la Transat Jacques-Vabre 2021 puis toute la saison de course et elle fonctionne toujours. Si l’on parle du marché de la plaisance et que l’on prend un voilier de 10 à 12 mètres avec une grand-voile de 60 m² disposant de 40 m² de cellules OPV, on peut viser les 6 kilowattheures de production d’énergie. Cela couvre très largement les besoins du bord. On peut même envisager de recharger des batteries pour les moteurs électriques d’appoint. Notre rêve, c’est de voir des navires sortir un jour sans vent, voile haute, pour alimenter leur moteur.
Futura : Vous dites que les cellules photovoltaïques Heole n’ont pas d’impact significatif sur le poids de la voile. Pouvez-vous préciser concrètement ?
Jean-Marc Kubler : On est sur un surpoids de 750 g/m². Mais ce gain est compensé par les progrès réalisés sur les matériaux des voiles qui ne cessent de progresser pour être toujours plus légers. Je précise aussi que notre cible commerciale est la voile de plaisance où le critère du poids a une importance bien moindre qu’en compétition.
Futura : Quelles sont les autres applications potentielles à destination du grand public ?
Jean-Marc Kubler : Les démonstrateurs que nous développons cette année sont des toiles pour des stores d’immeuble, des toiles de tente ainsi que des ballons éclairants. Avec 1 m² de membrane Heole intégrée à un store, on parvient actuellement à alimenter l’éclairage LED d’un bureau de 10 m² pendant six heures. Aujourd’hui, nous sommes sur un rendement de 4 %. En fin d’année nous serons à 8 %, dans dix ans nous serons à 20 %. Avec les perspectives de croissance de rendement, nous pourrons alimenter beaucoup plus.
En ce qui concerne le ballon éclairant, il s’agit d’un objet qui capte la lumière et la restitue sous forme d’éclairage LED la nuit. Il s’installe sur des piliers pour faire de l’éclairage public, par exemple dans une zone artisanale. Nous visons également le marché du shipping à voile.
Futura : Quel est le surcoût d’une voile munie d’une membrane Heole ?
Jean-Marc Kubler : Nous visons un tarif environ deux fois plus cher qu’une voile de même capacité non solaire. Ce delta devrait se réduire de moitié ou des trois quarts dans les années à venir.
Futura : Quid du recyclage des OPV ?
Jean-Marc Kubler : Les OPV sont recyclables à 100 %. Le fabricant de voile avec lequel nous avons un partenariat pour la production de voiles solaires utilise un procédé totalement recyclable.
Futura : Comment réagit le monde du nautisme à votre innovation ?
Jean-Marc Kubler : Très enthousiaste. Pas de bruit, pas de pollution. Les plaisanciers sont emballés par cette technologie et les perspectives qu’elle ouvre.
Futura : Quelle échéance visez-vous pour votre démarrage commercial ?
Jean-Marc Kubler : Nous espérons commercialiser des voiles de plaisance à partir de 2023. Pour les autres familles de produits, nous comptons disposer de deux ou trois démonstrateurs sur la fin de l’année.
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