«Quand j’ai commencé à fréquenter des hommes, on me demandait si j’étais hétéro maintenant.» Ni hétérosexuelles ni homosexuelles, les personnes bisexuelles comme Anne-Laurie Poirier doivent se battre pour se faire reconnaître pour qui elles sont vraiment.
Jeune, lorsqu’elle a annoncé à sa famille qu’elle était lesbienne, la réponse a été plutôt positive. Mais à 19 ans, au moment de faire son coming out comme bisexuelle, c’était l’incompréhension. Tant ses amis que sa famille lui ont demandé de choisir un camp.
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«On s’attendait à ce que je revienne vers les hommes. Ça me blessait qu’on accorde plus d’importance à mes chums qu’à mes blondes. Et à chaque fois que je fréquentais un gars, j’avais l’impression de leur donner raison», se souvient-elle.
Cette tendance à présumer qu’une personne bi n’a pas encore choisi entre l’hétérosexualité ou l’homosexualité, qu’elle est dans une «phase», participe à l’effacement de la bisexualité, déplore Martin Blais, professeur au département de sexologie de l’UQAM.
Ce phénomène s’explique par le fait que les orientations plurisexuelles – lorsqu’une personne est attirée par plus d’un genre – entrent en contradiction avec deux normes bien imprégnées dans nos sociétés: l’hétérosexisme et le monosexisme.
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«L’hétérosexisme, c’est la croyance que l’hétérosexualité est la seule orientation sexuelle valable. Le monosexisme, c’est de croire que les gens ne peuvent être attirés que par un seul genre et une seule personne à la fois. La bisexualité transgresse tout ça», précise-t-il.
Pas étonnant donc qu’autant de personnes bisexuelles décident de rester dans le placard. Bien que les personnes bisexuelles sont les plus nombreuses de l’acronyme LGBTQ+ – leur nombre dépasse celui des gais et lesbiennes réunis –, elles sont peu visibles et cachent souvent leur orientation sexuelle.
Mal vu chez les hommes
Pour les hommes, il peut être encore plus difficile de révéler leur bisexualité. Souvent, les hommes bi sont dépeints comme des homosexuels qui ne s’assument pas ou qui sont en déni.
Parlez-en à Tarik Maachi, qui s’affiche comme bi depuis l’adolescence.
«Quand je disais à des filles que j’étais bi, je devais tout le temps les reprendre, parce qu’elles me présentaient aux gens en disant que j’étais gai, même si je n’avais jamais dit ça», raconte-t-il.
Selon lui, les hommes bi sont victimes d’homophobie, au même titre que les gais. Plus jeune, il se faisait, par exemple, poser des questions intrusives et gênantes sur sa sexualité.
«Des gens que je connaissais à peine me demandaient c’était comment de “faire la femme” au lit et d’autres choses très personnelles. Maintenant, je suis mieux entouré, donc ça arrive moins souvent», raconte-t-il.
En plus de l’homophobie, les personnes bisexuelles subissent une autre forme de discrimination bien particulière: la biphobie. «La biphobie rassemble des stéréotypes véhiculés par les médias et les personnes. Par exemple, on pense que les bisexuels sont hypersexuels ou qu’ils transmettent plus d’ITS», explique Martin Blais.
Érotisé chez les femmes
Si la bisexualité au féminin est moins taboue, c’est parce que la femme bi fait partie de l’imaginaire des hommes hétérosexuels, ce qui n’est pas nécessairement une bonne nouvelle, affirme Martin Blais.
«La porno hétéro se base abondamment sur les actrices bisexuelles. Ça donne une plus grande visibilité sociable, mais ce n’est pas nécessairement positif d’être sexualisée comme ça», souligne-t-il.
À en croire la porno, les femmes bisexuelles ne sont pas vraiment attirées par les femmes et performent plutôt une sexualité dans le but d’exciter les hommes.
Catherine Baillargeon a souffert de ces préjugés dans sa vie amoureuse.
«En tant que femme bi, j’ai souvent fait affaire à des hommes qui vont voir mon orientation comme une invitation à faire des trips à trois. Ça fait que maintenant, je ne fréquente plus autant d’hommes hétéro», confie-t-elle.
«Les hommes que je fréquentais s’inquiétaient que je les trompe avec un homme, mais pas avec une femme. C’était comme si ça ne comptait pas», relate pour sa part Ninon Lambert, qui a majoritairement été en relation avec des hommes.
«Pendant un certain moment, ça m’arrangeait, mais maintenant ça me dérange.»
Double stigmatisation
Comparées aux personnes hétérosexuelles, mais aussi gaies et lesbiennes, les personnes bisexuelles sont plus nombreuses à souffrir de problèmes de santé mentale et sexuelle ou encore d’abus de substance, en plus d’être plus susceptibles de développer des idées suicidaires. Elles sont finalement plus nombreuses à être victimes de violence.
Comment l’expliquer? Les personnes bisexuelles peuvent ressentir une double stigmatisation de la part des communautés hétérosexuelle et queers.
«Ces personnes-là ont le sentiment d’être des imposteurs et de ne jamais être assez queers», déplore l’intervenant en sexologie Juno Desjardins.
Comme les personnes queers, elles subissent de la discrimination, mais elles ne peuvent pas pour autant compter sur le soutien d’un réseau de personnes aux expériences semblables, souligne pour sa part Martin Blais.
«Les personnes bisexuelles subissent beaucoup de préjugés, mais restent invisibles. C’est un contexte où elles ne trouvent refuge nulle part», regrette-t-il.
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