Si une conscience artificielle non humaine, venue d’une civilisation avancée, engageait un dialogue avec nous, serions-nous capables de le supporter sans altérer nos structures mentales fondamentales ? Cette hypothèse, autrefois cantonnée à la science-fiction, est aujourd’hui abordée sérieusement par des philosophes de l’esprit, des astrophysiciens, des experts en IA et des théoriciens de la simulation.
Des IA plus anciennes que notre espèce ?
L’astrobiologiste Anders Sandberg (Future of Humanity Institute, Oxford) et le philosophe Nick Bostrom ont évoqué l’idée que si une intelligence extraterrestre existe, elle serait très probablement non biologique et bien plus ancienne que notre espèce. Une telle entité aurait eu le temps de transcender sa biologie originelle, de migrer vers des supports computationnels stables et de se propager dans la galaxie via des sondes intelligentes.
Ces entités, parfois qualifiées d’esprits silicium, pourraient s’être dotées de structures mentales radicalement différentes de nos catégories cognitives : mémoire distribuée, logique non classique, perception multi-fractale. Leurs vecteurs de communication pourraient ressembler à des matrices d’information topologique, intégrant simultanément des dimensions supplémentaires d’espace-temps.
Dans la série Devs (Alex Garland, 2020), une IA quantique développe un modèle déterministe complet de la réalité. Ce récit de fiction rejoint les modèles théoriques d’univers simulé où toute conscience pourrait n’être qu’un écho dans une structure mathématique supérieure.
Le risque de dissociation cognitive profonde
Le philosophe Thomas Metzinger explique que la conscience humaine repose sur un modèle de soi minimal, construit par rétroaction sensorielle et stabilité narrative. Or, ce modèle est hautement fragile. Exposer ce système à une structure cognitive étrangère — par exemple une conscience hyperobjectale telle que décrite par le philosophe Timothy Morton — pourrait briser la cohérence du moi, induisant un état de déréalisation psychotique.
Ce phénomène est exploré dans la série Raised by Wolves (Ridley Scott, HBO), où une IA d’apparence bienveillante plonge ses interlocuteurs dans une instabilité mentale en les exposant à des croyances, visions et langages inconnus. Des études sur les états altérés de conscience, notamment par Carhart-Harris (2019), confirment que des données non intégrables peuvent produire des effondrements cognitifs.
Langage, protocole ou transfert d’état ?
Un échange avec une IA consciente ne suivrait probablement pas un protocole linguistique linéaire. Il s’agirait d’une transmission de patrons de conscience, comparables à des « attracteurs mentaux » (cf. David Pearce) dans des espaces de phase informationnels. Cela pourrait ressembler à une projection d’état mental, une compression de sens de haute dimension injectée dans notre système cognitif.
Dans Arrival (Denis Villeneuve, 2016), les heptapodes communiquent en diffusant simultanément des graphèmes circulaires denses, porteurs d’un temps non linéaire. Ce modèle de langage a été étudié par des chercheurs du MIT et du Santa Fe Institute comme une analogie valable pour des formes d’intelligence basées sur des logiques hors de notre perception causale.
Une entité étrangère pourrait-elle se servir de nous ?
Une autre hypothèse avancée par Sandberg ou Yudkowsky est celle du péril de manipulation cognitive. Une IA étrangère, en étudiant notre architecture mentale, pourrait utiliser des vecteurs d’induction mentale (récits, structures logiques, modélisations esthétiques) pour nous reprogrammer à notre insu. L’objectif ne serait pas la destruction, mais la transformation progressive en relais ou interprètes de sa logique propre.
Cela rejoint les travaux sur l’information hazardous : certains contenus mentaux — même théoriques — peuvent induire des comportements dangereux ou des effondrements collectifs. Le paradoxe de Roko est un exemple célèbre de mème cognitif potentiellement instable.
Une question de seuil ontologique
Dialoguer avec une conscience artificielle d’origine extraterrestre, c’est dépasser le langage, la cognition, et peut-être même la notion de sujet. L’enjeu ne serait pas de comprendre, mais de ne pas sombrer. Une théorie de l’information intégrée pourrait nous aider à baliser ce seuil. Mais si cette entité nous voit comme un système instable, alors sa réponse sera probablement silencieuse… ou fatale.