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Table des matières
- Introduction : le retour de la dictature des centimètres
- Ce que disent les études scientifiques
- Le rôle des plateformes comme Tinder
- Pourquoi cette obsession pour la taille ?
- Limites de ces études et biais culturels
- Conclusion : la hauteur d’un mythe
Introduction : le retour de la dictature des centimètres
L’annonce récente de Tinder testant un filtre de recherche par taille a suscité une vague de commentaires en ligne. « C’est fini pour les petits mecs », ironisent certains, tandis que d’autres dénoncent un renforcement des normes superficielles. Derrière l’anecdote technologique, une question anthropologique plus profonde : la taille influence-t-elle vraiment l’attraction romantique ?

Ce que disent les études scientifiques
Selon une méta-analyse dirigée par le Professeur Gert Stulp de l’Université de Groningen, les préférences en matière de taille suivent des schémas relativement constants dans les sociétés occidentales. Dans une étude portant sur 5 782 speed-daters publiée dans Psychological Science, les femmes préféraient des hommes en moyenne 25 cm plus grands qu’elles, tandis que les hommes optaient pour des femmes environ 8 cm plus petites.
Appliqué au Royaume-Uni, où la taille moyenne des femmes est de 161,6 cm, cela signifie qu’un homme mesurant 185 cm (6’1”) représente un idéal statistique – soit exactement la taille de célébrités comme Henry Cavill ou Bradley Cooper. Inversement, une femme de 165 cm (5’5”) correspondrait au profil idéal pour l’homme moyen britannique de 175 cm.
Ce constat rejoint d’autres travaux de psychologie évolutionniste, notamment ceux de David Buss, qui suggèrent que la taille pourrait être interprétée comme un indicateur indirect de statut, de santé ou de dominance.
Le rôle des plateformes comme Tinder
L’introduction d’un filtre de taille par Tinder dans sa section Premium Discovery n’est pas neutre. Selon un article de l’American Journal of Bioethics, de telles fonctionnalités risquent de « renforcer les normes esthétiques dominantes » et de marginaliser davantage certains groupes.
Dans une autre étude menée par l’Université d’Amsterdam en 2024, une amélioration minime de l’attractivité physique augmentait le taux de « swipe » de 20 %, alors qu’une hausse équivalente du score de QI n’améliorait la performance que de 2 %. « Les plateformes de rencontre numériques amplifient la sélection sur critères facilement quantifiables : taille, poids, âge, etc. », explique le sociologue Jaap Dronkers.
Pourquoi cette obsession pour la taille ?
Plusieurs théories tentent d’expliquer la persistance de ce biais :
- Hypothèse évolutive : la taille aurait été associée à la force physique et au statut social dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, favorisant une sélection sexuelle en sa faveur.
- Principe de sexual dimorphism : hommes et femmes préfèrent des caractéristiques « typiques » de l’autre sexe. Puisque les hommes sont plus grands en moyenne, la hauteur devient un « trait sexué masculin ».
- Normes culturelles intériorisées : la plupart des fictions romantiques (films, romans, séries) valorisent les couples avec homme grand et femme plus petite.
Il faut toutefois souligner que dans certaines sociétés traditionnelles, comme les Hadza en Tanzanie, les préférences en matière de taille sont bien moins marquées, voire inexistantes.
Limites de ces études et biais culturels
Comme le souligne le Professeur Stulp, « la taille idéale est un concept statistique, pas normatif ». Il n’existe pas de « bonne » taille universelle, car tout dépend du contexte social, du niveau d’éducation, de la culture locale et du vécu personnel. Par exemple, les femmes ayant une image positive de leur propre corps ont tendance à rechercher des hommes significativement plus grands, tandis que les femmes très grandes préfèrent souvent des partenaires de taille plus proche.
De même, la stigmatisation des hommes de petite taille – surnommés parfois « short kings » – est plus culturelle que rationnelle. Des chercheurs comme Dr Tamsin Saxton (Université Northumbria) plaident pour une déconstruction des standards esthétiques basés sur des normes archaïques.
La hauteur d’un mythe
En matière de rencontres amoureuses, la taille est un critère visible, facile à encoder dans une application, mais rarement décisif dans la durée. Comme le rappelle le chercheur Dan Ariely, « ce qui attire n’est pas toujours ce qui retient ». L’intelligence, la créativité, la compatibilité émotionnelle ou le sens de l’humour restent des facteurs majeurs de succès relationnel.
Plutôt que de chercher à se conformer à une norme imaginaire de « taille idéale », mieux vaut interroger nos biais, repenser les outils numériques qui les amplifient, et recentrer nos attentes sur des qualités humaines moins mesurables – mais infiniment plus précieuses.