Alors que des milliards de dollars de litiges pèsent sur le géant pharmaceutique allemand, Bayer envisagerait de placer sa filiale Monsanto en faillite pour circonscrire les risques juridiques liés au Roundup. Derrière cette manœuvre juridique se cache un enjeu mondial de santé publique et un débat scientifique brûlant sur la dangerosité du glyphosate.
- Un passif judiciaire colossal
- Glyphosate : une molécule controversée
- La stratégie de Bayer : règlement ou faillite ciblée ?
- Réglementations internationales : l’Europe divisée
- Quelles alternatives au glyphosate ?
- Changer les habitudes économiques et alimentaires
- Et la Chine dans tout ça ?
- Enjeux futurs : santé, science et agriculture mondiale
Un passif judiciaire colossal
En 2018, Bayer acquiert Monsanto pour 63 milliards de dollars, héritant par la même occasion de son produit phare : le Roundup, un herbicide à base de glyphosate. Ce dernier est depuis accusé de provoquer des cancers, notamment des lymphomes non hodgkiniens. Dès la première année, un jury californien condamne Monsanto à verser 289 millions de dollars à Dewayne Johnson.
Depuis, plus de 165 000 recours collectifs et individuels ont été déposés aux États-Unis. En 2020, Bayer tente d’enrayer l’hémorragie judiciaire avec un accord à l’amiable de 10,9 milliards de dollars, mais de nombreux cas restent en cours. La société est condamnée à plusieurs reprises, notamment en 2021 (25 millions $ à Edwin Hardeman) et 2022 (87 millions $ à Alberta Pilliod).
Glyphosate : une molécule controversée
Le glyphosate, découvert en 1970, est l’herbicide le plus utilisé au monde. Il agit comme inhibiteur de l’enzyme EPSPS, essentielle à la synthèse des acides aminés chez les plantes. Pourtant, son innocuité est vivement contestée.
En 2015, le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer) le classe comme « probablement cancérogène pour l’homme » (groupe 2A). D’autres agences, comme l’EFSA ou l’EPA américaine, concluent à une absence de risque cancérogène dans des conditions d’usage normales. Ce contraste alimente une controverse scientifique majeure.
La stratégie de Bayer : règlement ou faillite ciblée ?
Bayer envisage une mise en faillite ciblée de Monsanto via le Chapter 11 du droit américain. Ce mécanisme juridique permettrait de geler les poursuites tout en restructurant les obligations liées au glyphosate. En parallèle, des négociations pour un nouveau règlement financier sont en cours.
Cette approche, bien que légale, suscite une vive opposition. Elle est perçue comme une tentative d’évasion face à la justice, au détriment des victimes. L’action Bayer a chuté de plus de 50 % depuis le rachat de Monsanto.
Réglementations internationales : l’Europe divisée
En novembre 2023, l’Union européenne a renouvelé pour 10 ans l’autorisation du glyphosate. Pourtant, des pays comme la France, l’Allemagne ou la Belgique s’y opposaient. En France, bien que l’utilisation soit toujours légale, des restrictions progressives sont prévues.
En Allemagne, une interdiction totale était prévue pour 2024, mais a été suspendue en raison de divergences juridiques. Aux États-Unis, certains États comme la Californie exigent désormais des avertissements de type cancérigène sur les produits contenant du glyphosate.
Quelles alternatives au glyphosate ?
Plusieurs substituts naturels ou mécaniques sont aujourd’hui à l’étude :
- Acide pélargonique : herbicide végétal utilisé en bio.
- Désherbage robotisé ou mécanique : via IA et vision par ordinateur.
- Couvertures végétales et techniques agroécologiques préventives.
Mais leur efficacité reste variable, avec des coûts élevés et une moindre praticité sur grandes surfaces. Le passage à ces solutions exige une refonte complète des systèmes agricoles.
Changer les habitudes économiques et alimentaires
Le glyphosate est un pilier du modèle agro-industriel. Sa disparition impliquerait :
- Une augmentation des coûts de production.
- Un ralentissement de la productivité agricole mondiale.
- Des tensions inflationnistes sur les denrées de base.
Les consommateurs pourraient donc voir les prix de produits courants (pain, céréales, légumineuses) augmenter. La transition vers une agriculture plus durable reste inévitable, mais elle devra être accompagnée financièrement.
Et la Chine dans tout ça ?
La Chine est à la fois leader mondial de la production de glyphosate et un utilisateur majeur. Des firmes comme Zhejiang Xinan ou Fuhua Tongda dominent le marché mondial.
Bien que le gouvernement chinois n’envisage pas d’interdiction nationale, il encourage des pratiques agricoles plus durables via des technologies de précision (drones, IA). La Chine surveille étroitement les décisions prises en Europe et aux États-Unis, car elles influencent directement ses marchés d’exportation.
Enjeux futurs : santé, science et agriculture mondiale
Le glyphosate soulève des enjeux de fond :
- Risque sanitaire latent : cancer, fertilité, microbiote ?
- Manque de données longitudinales indépendantes.
- Lobbying massif de l’agro-industrie.
De nombreuses publications indépendantes (Zhang et al. 2019, Lerro et al. 2020) pointent une corrélation inquiétante entre exposition prolongée et certains cancers. La vérité scientifique reste à consolider, mais le principe de précaution s’impose de plus en plus comme norme éthique.