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75 % des forêts françaises sont privées, un défi pour leur adaptation au changement climatique


L’été 2022 n’est pas fini, mais il est déjà marqué par des feux « hors normes ». En Gironde, les forêts de Landiras et de La Teste-de-Buch ont été réduites en cendres. Cette dernière appartient de longue date à des propriétaires privés laissant à des usagers le soin d’y prélever du bois. Son mode de gestion a fait l’objet de débats, car des désaccords entre propriétaires et usagers auraient ralenti les travaux nécessaires à la lutte contre les incendies.

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Si les raisons de la catastrophe sont multiples, ce drame interroge sur la gestion des forêts et leur adaptation aux risques climatiques. Car les forêts françaises sont à 75 % privées. Très morcelées, elles appartiennent à une myriade de propriétaires aux profils et intérêts très variés.

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  • Publiques ou privées, à qui appartiennent les forêts françaises ?

En France, 25 % des forêts sont domaniales (appartenant à l’Etat) ou communales, le plus souvent gérées par l’Office national des forêts (ONF) tandis que les 75 % restants sont détenus par des propriétaires privés. Certaines sont accessibles au grand public, d’autres sont clôturées, ou estampillées « défense d’entrer ».

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Selon l’Institut géographique national (IGN), qui met à jour chaque année un inventaire des forêts, celles-ci recouvrent au total 17 millions d’hectares, auxquels il faut ajouter les 8,24 millions d’hectares de forêts en Outre-mer, une superficie qui n’a cessé d’augmenter depuis la seconde moitié du XIXe siècle.

Elles couvrent aujourd’hui 31 % du territoire métropolitain (contre 19 % en 1908) soit l’occupation du sol la plus importante après l’agriculture. Les disparités régionales restent importantes, d’un taux de boisement de plus de 45 % en Corse ou dans le Var, à moins de 15 % dans le Nord.

  • Où sont situées les forêts privées ?
La répartition des surfaces forestières en France en fonction du statut de propriété.

Les forêts privées sont réparties sur tout le territoire, mais elles sont plus nombreuses à l’ouest du pays. Elles représentent 90 % des surfaces forestières en Bretagne, en Nouvelle-Aquitaine, dans les Pays-de-la-Loire, notamment en raison de la transformation de terres historiquement agricoles.

La moitié de la forêt française est aujourd’hui constituée de peuplements d’arbres dits « monospécifiques », par exemple le massif landais où furent plantés quasi exclusivement des pins maritimes. Le reste se compose de forêts à deux essences ou plus, comme dans le Nord-Est et le Massif central où l’on trouve du chêne, du hêtre ou encore du châtaignier.

Lorsqu’on examine le cadastre en détail, les forêts se distinguent par leur extrême morcellement : de nombreuses parcelles sont possédées par des propriétaires distincts qui cohabitent au sein d’un même massif.

  • Pourquoi un tel morcellement des forêts privées ?

Les dynamiques de privatisation de la forêt sont très anciennes. « Depuis le Moyen Age, l’accessibilité à une forêt est primordiale, quel que soit le statut social. Elle sert à se chauffer, s’alimenter, à la construction mais aussi comme refuge notamment en période de guerre, elle fournit l’équivalent de l’électricité et du pétrole aux civilisations d’hier », résume l’historien Sébastien Poublanc, spécialiste de la question. Si l’administration des eaux et forêts régule ces espaces dès le XIIIe siècle, sa mainmise porte plus sur les forêts du roi et des communautés ecclésiastiques que sur celles des seigneurs ou des particuliers. « Dès cette époque, ces dernières sont finalement peu connues par l’Etat. »

A la Révolution française, l’Etat s’approprie les forêts des communautés ecclésiastiques et de la noblesse en fuite. Elles sont ensuite loties et revendues en 1827 pour solder les frais de l’épisode napoléonien. L’exode rural, du milieu du XIXe siècle jusqu’aux années 1950, entraîne à la fois une augmentation de la surface forestière et son morcellement : les parcelles agricoles délaissées sont reconquises par la forêt et sont transmises en héritage par petits morceaux, qui se trouvent parfois encastrés les uns dans les autres.

Il en résulte une mosaïque, dont les usages varient en fonction des propriétaires : forêts destinées à l’exploitation du bois, aux loisirs ou à la chasse, mais aussi parcelles laissées à la nature. « La perspective politique et culturelle dominante reste que la forêt est une source de revenus », souligne Sébastien Poublanc.

  • Petits et grands, qui sont les propriétaires ?

« Cela va de l’ouvrier au patron du CAC 40 », explique Antoine d’Amécourt, président de la fédération Fransylva, qui représente 73 syndicats forestiers privés. Pas moins de 3,3 millions de propriétaires se partagent la forêt privée. Les deux tiers d’entre eux, soit 2,2 millions, sont de « petits propriétaires » possédant moins d’un hectare. Nombreux sont ceux qui en héritent, l’ignorent pendant des années, ou ne savent pas situer leur bien. Afin de faire baisser leurs coûts d’entretien ou défendre un projet commun, certains se regroupent au sein d’associations, de coopératives ou encore de groupements forestiers – structure juridique dans laquelle des propriétaires de parcelles deviennent des détenteurs de parts.

Mais on trouve aussi des « grands » propriétaires : des particuliers ou des entreprises, peu nombreux, qui se partagent la majeure partie de la surface privée. Par exemple, la Société forestière de la Caisse des dépôts ou de grands groupes d’assurances, qui s’inscrivent plutôt dans une démarche de rendement – le bois restant considéré comme un investissement stable, une valeur refuge, qui peut faire l’objet d’exonérations fiscales.

Selon le Centre national de la propriété forestière (CNPF), établissement public chargé d’accompagner la gestion des forêts privées, 11 % des propriétaires (soit 380 000 personnes physiques ou morales) possèdent des forêts de plus de 4 hectares, qui totalisent à eux seuls 76 % de la forêt privée. Seuls 50 000 possèdent des surfaces dépassant 25 hectares. Ils assurent les trois quarts de la commercialisation de bois à des professionnels telles que des scieries. L’usage dépend ensuite de l’âge du bois (chauffage quand il est coupé jeune, construction quand la coupe est effectuée des décennies plus tard).

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Toutes les parcelles relèvent du code forestier (promulgué en 1827 et actualisé depuis), mais au-delà de 25 hectares, les propriétaires sont tenus de faire valider « un plan de gestion », décrivant les coupes de bois et travaux qu’ils prévoient sur leurs forêts dans les dix ou vingt prochaines années. Pour les plus petites, le suivi est moins attentif. Le simple recensement des propriétaires relève de la gageure, souligne le CNPF, dont le rôle est, avec ses quelque 300 agents, de les conseiller et de les former.

  • Pourquoi cette situation complique l’adaptation au changement climatique ?

Face aux risques climatiques, les forêts sont en première ligne, prises dans une cascade de risques. « Il y a d’abord l’aléa majeur que représente la sécheresse, stimulant les autres aléas naturels, résume Félix Bastit, qui rédige une thèse au sein d’AgroParisTech sur les impacts économiques des risques en forêt française. En conséquence, le risque sanitaire augmente. » Des épicéas fatigués par les sécheresses sont très vulnérables aux insectes tels que les scolytes, capables de détruire de grandes surfaces, et plus exposés aux risques d’incendie.

Ces menaces s’étendent géographiquement. « La zone forestière la plus sensible au risque de feu de forêt, traditionnellement cantonnée aux régions Sud-PACA et Occitanie, s’étend vers le nord et l’ouest », décrit Manuel Fulchiron, directeur adjoint et responsable des forêts à l’IGN. Pour lutter contre les feux, l’un des enjeux est d’entretenir les infrastructures, comme des chemins débroussaillés. « Mais ce n’est pas le seul paramètre. Des recherches importantes sur les espèces d’arbres, leur mélange, le type de sylviculture, doivent se poursuivre dans le cadre de l’adaptation aux effets du changement climatique. »

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Julie Thomas, ingénieure au CNPF, enquête précisément sur l’adaptation des propriétaires forestiers à ces enjeux et constate qu’ils ont désormais « conscience du problème, mais malgré l’inquiétude, ne sont pas forcément dans l’action ». Parce qu’ils pensent pouvoir attendre, par manque de revenus, ou par difficulté à faire des choix, « car les informations sont perçues comme peu disponibles, parfois contradictoires ou manquant de clarté. » S’y ajoute un sentiment de délaissement de la filière par les pouvoirs publics. Et l’absence de politiques publiques d’ampleur ne facilite pas la transition, malgré l’urgence.

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Written by Stephanie

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