Dans le centre-ville piétonnier de Ljubljana, la place Preseren est en pleine effervescence en cette fin d’après-midi de septembre. Ici un groupe de touristes entament une visite guidée dans la capitale slovène, là des amis se retrouvent pour prendre un verre à l’une des terrasses bordant la Ljubljanica, et au milieu, circule le ballet incessant des vélos, des trottinettes et des kavalir – ces petites voitures électriques avec chauffeur se déplaçant pour véhiculer gratuitement badauds ou personnes âgées d’un point à l’autre du centre historique.
Difficile d’imaginer que quinze ans plus tôt, ce carrefour de l’hypercentre était envahi par les quatre-roues. « Quand le maire a décidé de piétonniser en 2007, l’écrasante majorité des habitants y était opposée, convaincue que le centre-ville allait mourir », rappelle Matic Sopotnik, coordinateur de la mobilité durable au sein de la municipalité de Ljubljana. « Or c’est tout l’inverse qui s’est produit : les cafés et animations ont fleuri et la population s’est réapproprié l’espace », se réjouit ce Slovène de 35 ans.
Aujourd’hui, les 293 000 résidents que compte la plus grande ville slovène jouissent de 17 hectares de zone piétonne. Pour les 120 000 habitants en périphérie qui gagnent la capitale en voiture pour y travailler, des parkings relais ont été installés. Pour 1,30 euro, ces automobilistes disposent d’un stationnement pour la journée et de deux tickets de bus. « Ljubljana est devenue une ville plus verte ces dernières années. Le centre-ville a été rendu plus agréable pour les piétons et les cyclistes. Les déplacements en deux-roues ont décollé grâce à des aménagements adéquats complétés par un système de bicyclettes partagées à prix ultra-compétitif », résume Marko Peterlin, directeur d’IPoP, une ONG ljubljanaise spécialisée dans l’aménagement urbain.
Pour trois euros annuels, les Ljubljanais peuvent emprunter depuis 2011 l’un des 840 vélos répartis dans 84 stations de BicikeLJ, et ce, gratuitement la première heure. Avec une popularité qui ne se dément pas, le dispositif comptabilise plus d’un million de trajets par an.
Capitale verte européenne
L’écologie n’est pas une notion nouvelle pour les deux millions de citoyens de ce petit pays alpin, jouxtant les Balkans et la mer Adriatique : Ljubljana a été couronnée en 2016 capitale verte européenne. « Les Slovènes sont très attachés à la nature, les écoles sensibilisent à l’environnement depuis des années. Ces petits pas comme le tri sélectif ou encore l’élimination des sacs en plastique dans la capitale ont été d’autant mieux acceptés qu’ils n’ont jamais été imposés : il y a toujours eu un côté ludique et éducatif avec de nombreux ateliers à la clé », analyse Ladeja Godina Kosir, fondatrice et directrice de Circular Change, un institut pour l’économie circulaire à Ljubljana.
La métropole slovène a su mettre en place un traitement efficace des déchets domestiques. Un peu partout dans l’hypercentre, cinq conteneurs de couleurs différentes invitent les habitants à trier leurs détritus : emballages à recycler (PET, Tetrapack…), matières organiques, verre, papier et déchets résiduels. Plus loin en ville, le ramassage se fait à domicile. C’est à une dizaine de minutes du cœur de la capitale, au RCERO, le centre de déchets régional de Ljubljana, que la matière est soit compostée, soit livrée à des entreprises de recyclage ou bien compactée pour enfouissement ou incinération en dernier ressort. « En 2021, 70 % de notre collecte était triée », annonce fièrement Joze Gregoric, commercial au sein de JP Voka Snaga, l’entreprise publique responsable de la collecte des ordures municipales à Ljubljana.
Le chiffre est d’autant plus remarquable qu’avant 2004 les citadins ne disposaient que d’une poubelle indifférenciée. « Entre 2004 et 2021, on a diminué de plus de 50 % la quantité de déchets résiduels », précise Joze Gregoric. « Notre traitement des biodéchets est un bon exemple d’économie circulaire, s’enthousiasme l’employé. On en fait de la chaleur et de l’électricité dans une unité de cogénération et cela produit in fine de l’excellent compost qui retourne en ville. » Le RCERO est non seulement autonome en énergie, mais il réinjecte 20 % d’électricité à l’année dans le réseau.
Paradoxe du tourisme « durable »
Pour autant, la route de la transition est longue. Il faudra du temps avant d’atteindre le « zéro déchet » alors que le débat fait rage autour d’un nouvel incinérateur pour suppléer le seul que compte la Slovénie. Le pays est aussi largement à la peine sur le plan ferroviaire. « Il n’y a pas eu assez d’investissement dans ce domaine jusqu’en 2008 », reconnaît Uros Vajgl, secrétaire d’Etat responsable de l’environnement. « Dans les années 1990 surtout, la voiture individuelle était un symbole important. Aujourd’hui encore, les Slovènes caracolent en tête des Européens qui consacrent la plus grande part de leur revenu à leur véhicule. Ils sont également très dispersés sur le territoire, ce qui ne facilite pas les choses », argumente le fonctionnaire, qui se réjouit de la popularité de deux services de voitures électriques partagées.
« Certains utilisateurs ont opté pour la bicyclette afin de pallier la détérioration de la fréquence des transports en commun à Ljubljana », pointe également Marko Peterlin, qui souhaiterait voir des améliorations tangibles dans la desserte de la capitale, en bus comme en train. Ljubljana se heurte aussi aux paradoxes d’un tourisme qu’elle souhaite « durable » alors que le nombre de visiteurs étrangers a été multiplié par deux entre 2010 et 2019, chassant progressivement la population locale de l’hypercentre.
Une tendance qui inquiète la société civile, elle-même souvent à l’origine de bonnes pratiques, reprises par les autorités locales. Comme dans le quartier résidentiel de Savsko naselje, où l’organisation Prostoroz a installé une bibliothèque d’objets en 2015 dans un local cédé par la mairie. Tout un chacun peut y emprunter chaises de jardin, perceuse, vidéoprojecteur et plus de 200 objets. Ce soir-là, Natalija Zalokar y a dégoté un siège auto pour sa sœur de passage. « Ce serait du gaspillage que d’en acheter un », affirme cette cinquantenaire, enchantée de sa découverte. « C’est la même logique qu’une bibliothèque, nous sommes un service public qui ne sera jamais profitable, mais essentiel à l’heure du réchauffement climatique pour réduire l’empreinte carbone de ces objets peu usités », conclut Jost Derlink, gestionnaire du projet, ravi de voir que sa bibliothèque fait des émules dans deux autres structures municipales de la capitale.
Programme du Forum de la résilience
Comment les villes peuvent-elles agir face à la crise climatique ? Quelle place et quel rôle de la culture pour répondre au défi de la résilience ? Quels droits reconnaître au fleuve ? Quelle hospitalité pour nos espaces communs ? Autant de questions qui seront débattues les 6 et 7 octobre, lors de l’édition 2022 du Forum de la résilience, « Culture, une question capitale. Venez inventer les futurs ». Un événement conçu par la Métropole Rouen-Normandie et dont Le Monde est partenaire. Prendront part aux débats de ce forum, entre autres : des élus et acteurs de Rouen ; Jean-Marc Offner, président du Conseil stratégique plan-urbanisme-construction-architecture Popsu ; Jean-Louis Bergey, chef de projet prospective-énergie-ressources Transition(s) 2050 à l’Ademe ; Grégory Doucet, maire de Lyon ; Pénélope Komitès, adjointe à la mairie de Paris chargée de la résilience ; Jérôme Dubois, de l’Institut d’urbanisme et d’aménagement d’Aix-Marseille ; Yoann Moreau, anthropologue et dramaturge ; Thierry Paquot, philosophe…
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