La catastrophe de Tchernobyl a marqué l’histoire nucléaire mondiale. Depuis l’accident de 1986, les règles de sécurité, de surveillance, de transparence ont évolué. Mais ce drame a également bouleversé notre connaissance de l’environnement. Car si le coup porté aux espèces animales et végétales était attendu, personne ne pensait voir la nature reprendre si rapidement ses droits. En quelques décennies, la zone d’exclusion est même devenue un refuge pour la biodiversité – lynx, loups, ours… – et un laboratoire pour les scientifiques.
C’est du reste en tentant d’observer l’influence de cet environnement extrême sur la faune que deux chercheurs espagnols, Pablo Burraco et German Orizaola, ont fait, en 2016, une curieuse découverte. Dans la zone d’exclusion de la centrale, leur attention s’est portée sur des grenouilles noires. Des spécimens pas tout à fait inconnus pour eux : la grenouille arboricole Hyla orientalis a été largement décrite. Ses cris, audibles à des kilomètres, sa vie dans les arbres, à proximité de points d’eau, ont été bien étudiés. « Sauf que celles-là étaient noires, raconte Pablo Burraco, postdoctorant à la station biologique Donana de Séville. Nous nous sommes demandé si cela pouvait être lié à l’accident. »
Dans un article publié le 28 août dans la revue Evolutionary Applications, les deux scientifiques répondent clairement par l’affirmative. C’est bien l’extraordinaire pression de sélection provoquée par les rayons ionisants qui a dirigé l’évolution des amphibiens du vert vers le noir. Pour en apporter la démonstration, il leur a fallu retourner quatre années de suite dans la zone rouge. « Il est interdit d’y séjourner plus de quinze jours par an, et nous voulions collecter suffisamment d’échantillons pour mener des approches physiologiques, génétiques et morphologiques », poursuit le chercheur. Ils ont ainsi pu recueillir 189 individus venus de 12 localités, à l’intérieur et à l’extérieur du périmètre d’exclusion.
Exposition aux rayons ionisants
La comparaison est édifiante. Plus les grenouilles proviennent de zones fortement irradiées, plus leur peau apparaît sombre. En étudiant la quantité de césium relevée dans les mois qui ont suivi la catastrophe et la carte actuelle, ils ont même pu préciser leur conclusion : ce sont bien les rayons ionisants enregistrés dans les mois qui ont suivi le drame qui guident le phénomène.
Par quel mécanisme ? Là encore, leur réponse est sans appel : la mélanine. Le pigment abonde sur la peau des grenouilles noires. « Ça ne doit pas nous surprendre, indique Pablo Burraco. Nous pouvons comparer nos observations à la coloration de la peau associée aux rayons du soleil chez les humains. » Ne surtout pas en conclure que les Noirs peuvent sans danger siffloter au cœur des réacteurs. D’autant que la manière dont la mélanine dissipe l’énergie des rayons ionisants reste encore à étudier.
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