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« En matière de changement climatique, les villes doivent éviter la “mal-adaptation” »


Valérie Masson-Delmotte, paléo-climatologue, directrice de recherche au  Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et coprésidente du Groupe 1 du GIEC depuis 2015, à Saint-Aubin, le 5 septembre 2022.

Directrice de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), et coprésidente du groupe de travail 1 du GIEC, Valérie Masson-Delmotte a été classée parmi les cent personnalités les plus influentes en 2022 par le magazine américain Time.

Quelles sont les conséquences du dérèglement climatique sur les villes ?

L’urbanisation exacerbe certains aspects du climat confronté à un réchauffement sans précédent. On le constate lors des canicules avec la multiplication des îlots de chaleur et l’augmentation des pénuries d’eau. Celles-ci peuvent avoir un impact sur les activités agricoles, les besoins de l’industrie, mais aussi sur l’approvisionnement des villes. Lors de tempêtes, l’imperméabilisation des sols empêche le ruissellement des pluies et peut entraîner des inondations, amplifiées par la montée du niveau des fleuves. Enfin, les aires urbaines situées près des littoraux doivent affronter la montée graduelle du niveau de la mer, laquelle a déjà grimpé d’une dizaine de centimètres depuis trente ans. Ce phénomène amplifie l’érosion des côtes et entraîne des inondations chroniques à marée haute.

Les villes subissent le dérèglement climatique mais elles en sont aussi responsables. Comment peuvent-elles agir ?

Les villes produisent deux tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre et cette part augmente. Face à ce constat, un ensemble de municipalités et métropoles dans le monde se dotent de plans « climat ». Elles mettent en œuvre des actions en matière d’urbanisme, d’aménagement, de systèmes de chauffage ou de refroidissement, de déploiement des transports en commun… afin de permettre l’adoption de modes de vie plus sobres en carbone. Mais leur potentiel de transformation est lié à leur histoire. Les villes en forte croissance vont pouvoir s’adapter rapidement. En revanche, celles déjà bâties, comme c’est le cas en France, vont se heurter à des contraintes territoriales et patrimoniales.

Par exemple ?

Je pense aux impératifs de préservation esthétique qui peuvent freiner le déploiement de panneaux photovoltaïques sur les toits des bâtiments ou complexifier la création d’îlots de fraîcheur dans les villes. Les projets doivent aussi être lancés en tenant compte du long terme. En effet, quand on aménage un quartier, ce n’est pas pour dix ans, mais pour trente ou cinquante ans. Il est donc essentiel d’anticiper les caractéristiques climatiques futures afin que ce quartier fonctionne bien et soit agréable à vivre dans les années à venir.

A quoi doivent être attentives les villes lorsqu’elles lancent des plans « climat » ?

Il est primordial qu’elles évitent la « mal-adaptation », c’est-à-dire la mise en œuvre de démarches d’adaptation au changement climatique qui auront des effets indésirables sur le long terme. Installer des digues évite la montée des eaux et crée un sentiment de sécurité. Mais l’eau finira par monter un jour. Il faut donc d’ores et déjà éviter de construire ou de s’installer près du littoral. Idem avec la climatisation. Elle permet de soulager des températures élevées, mais elle réchauffe l’air extérieur et exacerbe les îlots de chaleur urbains.

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Autre problématique : l’urbanisation croissante. Les villes veulent végétaliser davantage, espacer les constructions, limiter la bétonisation…, mais elles doivent gérer l’augmentation des demandes d’installation. Il faut aussi faire évoluer les mentalités. Aujourd’hui, qu’est-ce qui fait la valeur d’un bien immobilier ? Le fait qu’il soit orienté plein sud pour être lumineux, que l’aménagement soit moderne et, pourquoi pas, qu’il ait vue sur mer. Pourtant, la proximité avec la côte, l’ensoleillement et le manque d’isolation pourront être problématiques sur le long terme.

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Quels conseils donner aux villes qui veulent agir ?

Elles doivent s’allier pour apprendre les unes des autres. Ce retour d’expériences évite d’agir au doigt mouillé et permet d’œuvrer à partir de mesures testées, expérimentées. Ce sont généralement des coalitions de villes qui font avancer les connaissances, car elles sont aux avant-postes des changements, avant même les Etats. Elles doivent aussi prendre conscience de la gravité de la situation, identifier les causes, les conséquences et les leviers d’action possibles. Pour créer une dynamique collective, les villes ont un atout : leur proximité avec les habitants et la volonté qu’ils ont de protéger et préserver leur habitat.

Programme du Forum de la résilience

Comment les villes peuvent-elles agir face à la crise climatique ? Quelle place et quel rôle de la culture pour répondre au défi de la résilience ? Quels droits reconnaître au fleuve ? Quelle hospitalité pour nos espaces communs ? Autant de questions qui seront débattues les 6 et 7 octobre, lors de l’édition 2022 du Forum de la résilience, « Culture, une question capitale. Venez inventer les futurs ». Un événement conçu par la Métropole Rouen-Normandie et dont Le Monde est partenaire. Prendront part aux débats de ce forum, entre autres : des élus et acteurs de Rouen ; Jean-Marc Offner, président du Conseil stratégique plan-urbanisme-construction-architecture Popsu ; Jean-Louis Bergey, chef de projet prospective-énergie-ressources Transition(s) 2050 à l’Ademe ; Grégory Doucet, maire de Lyon ; Pénélope Komitès, adjointe à la mairie de Paris chargée de la résilience ; Jérôme Dubois, de l’Institut d’urbanisme et d’aménagement d’Aix-Marseille ; Yoann Moreau, anthropologue et dramaturge ; Thierry Paquot, philosophe…

Renseignements et inscriptions :

Cet article fait partie d’un dossier réalisé en partenariat avec le Forum de la résilience, organisé par la Métropole Rouen-Normandie

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Written by Stephanie

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